Hôtel d'Évreux

C'est une analyse historique et formelle de l'hôtel particulier d'Évreux à Paris, place Vendôme, pour le TD de l'histoire de l'Architecture avec le professeur M. Deming.

Textes et dessins (sauf les plans historiques) de Petko Yotov.

L'HÔTEL D'EVREUX

Architecte : Pierre Bullet 1701-1718
Interprétation : Petko Yotov 2003

Époque : Fin de règne de Louis XIV.

L’hôtel d'Évreux se trouve à Paris, une grande ville, la capitale de France. Il est construit en 1704-1718 pour Monsieur Crozat l'Aisné. Il est bâti en parallèle avec l'hôtel Crozat, actuellement l'hôtel Ritz, également oeuvre de Bullet : les deux bâtiments sont voisins et il y a une intérpénétration entre eux, qualque chose de très rare.

Pierre Bullet : architecte français (Paris, 1639-1716). Elève de F. Blondel, il participe aux travaux de la porte Saint Denis à Paris, puis édifie en s'inspirant de son maître, l'arc de la porte Saint-Martin (1674), aux formes plus massives. Il édifie le château d'Assy et, à Paris, plusieurs hôtels particuliers d'apparence sévère (hôtel Le Peletier de Saint-Fargeau, hôtel Crozat). Il conçoit et élève la nef et le chœur de Saint-Thomas-d'Aquin et fait preuve d'une grande maîtrise technique dans la construction du quai Le Peletier et en 1712, à la demande du roi Louis XIV, les plans de la fontaine du Vertbois. Membre de l'Académie en 1685, il manifeste des préoccupations rationalistes et est l'un des représentants caractéristiques du classicisme français. Il est l'auteur d'un Plan de Paris (1677) et d'une Architecture pratique (1691).

Antoine II Crozat, dit le Riche[*]. Financier et mécène français (Toulouse, 1655 - Paris, 1738 ). Fils d'Antoine Ier, banquier, capitoul et prieur de la Bourse de Toulouse, il acquiert la charge de receveur général de la généralité de Bordeaux, un office de finance très lucratif, et épouse en 1690 Marie-Marguerite Le Gendre, fille d'un richissime fermier général, dont il hérita quelques années plus tard. En 1712, il obtient le privilège du commerce de la Louisiane pour quinze ans, mais ne parvenant pas à développer ses affaires, il cède son privilège à Law au bout de cinq ans. Il fait creuser à ses frais le canal de Picardie, ou canal Crozat (aujourd'hui canal de Saint-Quentin). ([*] Encyclopédie Hachette)

Septième plan de Paris, 1705

Ce plan est connu comme le Septième plan de Paris, daté de 1705. On peut voir la situation dans le quartier juste avant l'ouverture de la place des Conquêtes.

Plan de Fer, ou Huitième plan de Paris, 1705

Plan de Fer, ou Huitième plan de Paris, 1705 – la place est déjà tracée.

Plan de Paris de 1725

Plan de Paris de 1725.

Plan de Turgot, 1739

Plan de Turgot, 1739. La place se trouve entre deux planches, c'est celle qui contient l'hôtel d'Evreux.

Plan de cadastre actuel

Plan de cadastre actuel. L'hôtel d'Évreux est en gris foncé.

La place Vendôme

Cette place est un chef d'œuvre d'architecture classique de la fin du règne de Louis XIV.

Elle se trouve dans le premier arrondissement, au centre de Paris. Sa forme est rectangulaire de dimensions 213 par 124 m, avec des pans coupés. La place est décorée d'une colonne monumentale que surmonte la statue de Napoléon Ier.

Ses « lettres patentes » datent du 7 avril 1699. Elle avait été commencée suivant un autre plan à la suite d'un arrêt du Conseil du Roi du 2 mai 1686.

La place Vendôme est l'objet d'une importante opération spéculative : le terrain situé derrière les façades de Mansart est vendu à de grands financiers de la Régence comme Law, Pennautier et Crozat. De 1702 à 1720, les constructions des hôtels sont surtout l'œuvre des architectes Germain Boffrand et Pierre Bullet. Le quartier de la place Vendôme devient un quartier fastueux qui prend le relais de la place des Vosges et du Marais.

La place est appelée Vendôme dès le XVIIIe siècle ; c'était plus anciennement la place Louis le Grand et, à l'origine, la place des Conquêtes. On lui a donné le nom de place des Piques pendant la Révolution et de la place Internationale en 1871.

Il est interdit de modifier l'architecture des maisons riveraines construites d'après les dessins de Mansart approuvés par lettres patentes du 7 avril 1699. La plupart sont des monuments classés : aux numéros 1, 3, 5, 15, 17, 23, 2 à 6, 12 à 20, 26 et 28 : façades et toitures, aux numéros 7-9 : ancien hôtel de l'état-major de la Place et du Gouvernement militaire (façades), aux numéros 11-13 : Ministère de la Justice (façade). aux numéros 19-21 et 25 : Crédit Foncier, et finalement, aussi la colonne Vendôme.

La colonne Vendôme et les façades des maisons qui l'entourent font d'elle une des places les plus élégantes. Elle est à présent le haut lieu des activités de luxe parisiennes et a été réaménagée par la Ville de Paris en 1992, pour la libérer du stationnement des véhicules et lui redonner son aspect originel du XVIIIe siècle.

La maison

Plans :

Plan du rez-de-chaussée 1/2
rez-de-chaussée 1/2
Plan du rez-de-chaussée 2/2
rez-de-chaussée 2/2
Plan des entresols 1/2
entresols 1/2
Plan des entresols 2/2
entresols 2/2
Plan du premier étage
premier étage

Façades :

Élévation donnant sur la place
sur la place
Élévation donnant sur le jardin
sur le jardin
Corps de logis sur cour, coupe transversale
sur la cour
Corps de logis sur cour, coupe longitudinale
sur la cour
Façade principale sur la place Vendôme
sur la place

Détails :

Détails des dessins, plan
plan
Détails des dessins, façade
façade
Détails des dessins, coupe
coupe

La parcelle donne sur la place Vendôme, appelée à l'époque Louis le Grand. Sa façade borde le pan coupé du rectangle, du coté Nord. De par sa position, elle est très enfermée et « détachée » de la ville, protégée du bruit, chose typique pour l’aristocratie et la grande bourgeoisie. En même temps, son adresse est sur la Nouvelle Place, moderne et prestigieuse, dont les façades sont dessinées par Mansard, et considérées comme le style officiel de l'état.

La parcelle a une forme très irrégulière. L'orientation principale du terrain est la perpendiculaire à la rue Gambon, dans cette partie se trouve le jardin; deux « manches » le lient, une à la rue des Capucines, partie utilitaire, et une autre à la place, l'entrée principale.

L'architecte a organisé le plan autour d'une Grande cour ordonnée, et pour pouvoir articuler les différents corps de bâtiment, cette cour se termine avec une demi-ovale.

La maison a plusieurs corps de bâtiment. C’est un hôtel particulier entre cour et jardin. Le corps de logis principal est totalement détaché visuellement de la rue et de la ville ; les pièces principales n’ont même pas de fenêtres sur la cour d’honneur. Le propriétaire tourne son dos à la ville. Le jardin est très protégé et entouré de murs.

Le corps de bâtiment donnant sur la place est considéré comme principal, mais presque autonome (il a ses propres escaliers, cuisines etc.) ce qui peut suggérer qu'il a été destiné à la location. Il n'est pas rare à l'époque de voir de riches bourgeois louer des appartements de prestige dans les hôtels particuliers.

Les murs mitoyens font deux pieds d’épaisseur – encore une caractéristique des demeures aristocratiques (dans la maison ordinaire le mur mitoyen a 1½ pieds d’épaisseur).

Les parois - limites font, elles-aussi 2 pieds d’épaisseur. Il ne faut pas oublier que les limites liées au clos ont un rôle constructif. Les tailles, les portées et le poids des éléments sont plus importants que d’habitude, et donc les murs porteurs sont plus épais.

Les travées rythmiques constructives ordonnent les façades sur la Grande cour. Elles font 9¾ pieds d'entraxe et sont composées de trumeaux de 5 pieds 2 pouces et d'énormes baies de 4 pieds 7 pouces de large par 13 pieds de haut qui peuvent « unifier » le rez-de-chaussée et les entresols (dans l’habitation ordinaire la baie fait 4 pieds de large, ici il y a encore une démonstration du niveau social).

La partition interne de la maison est faite presque exclusivement avec des murs épais en maçonnerie qui servent à contreventer et stabiliser la structure dans la troisième dimension plutôt qu’à porter. Logiquement ces murs sont perpendiculaires aux parois - limites et s’accrochent aux trumeaux.

Les pièces principales sont largement ouvertes vers le jardin. Elles ont une grande hauteur de 17 pieds. Le mur côté jardin, limite constructive assurant aussi le clos et le couvert, est percé d'énormes (porte-) fenêtres. Ceci met en place un écran visuel entre les pièces principales et le jardin.

Le corps de logis secondaire et l'extension donnent sur la cour d'honneur.

Les deux corps de logis dans la partie vers la rue des Capucines sont de service – remises, écuries, greniers, chambres des domestiques.

Les escaliers sont disposés près des entrées de la maison :

  • dans le bâtiment principal, au fond de la cour - l’escalier principal et un escalier secondaire, probablement de service ;
  • dans le bâtiment sur rue - un grand escalier ; un autre, de service, à l'articulation avec la partie de service vers la rue des Capucines;
  • dans l'extention du corps de logis principal, un petit escalier de la grande cour à la salle à manger au premier, superposée sur une partie da la maison voisine;
  • des escaliers de service au fond de la partie « rue des Capucines ».

Le dispositif de distribution horizontale est complexe : c’est une chaîne. Dans les corps de bâtiment principaux c'est une succession de pièces, avec quelque chose de particulier pour la distribution « à la française », le dégagement qui permet de faire une boucle; dans la liaison des bâtiments autour de la cour, elle se rapproche de la maille.

Un problème pour la circulation au premier étage est justement cette liaison des corps de logis autour de la cour : dans le bâtiment sur rue il faut monter et puis descendre pour passer d’un côté à l’autre. Au premier il n’y a pas de lien horizontal entre les parties de la maison. Cela prouve qu’on ne passe pas souvent d’un côté à l’autre - il y a une différence hiérarchique.

La structure constructive utilisée est bâtiments de simple épaisseur redivisés en travées constructives de 9¾ pieds entraxe. Seul le corps de logis principal est de double épaisseur, avec le péristyle et une galerie donnant sur la cour.

La limite spatiale est structurelle (murs et trumeaux porteurs). Les planchers sont portés par des poutres (non visibles de l’intérieur).

La plupart des pièces ont des formes, tailles et proportions semblables - elles sont rectangulaires, comprenant 2 ou 3 travées de 24x9 pieds approximativement à l’intérieur. Les seules pièces différentes sont :

  • les espaces très allongés, le Péristyle et la galerie superposée - qui se termine par des demi-cylindres ; de faible épaisseur et de lumière latérale ;
  • le grand escalier, de proportions 1 sur 2 et de lumière zénithale.

Le parcours dans l’hôtel d'Évreux est séquentiel - c’est le choix distributif de l’architecte - les pièces s’enchaînent les unes après les autres. L’éclairage est toujours latéral par rapport au parcours.

Le parcours principal va de la place Louis le Grand, sous le porche d'entrée, de forme cylindrique, traverse dans l'axe la Grande cour, par le Péristyle et l'antichambre dans les chambres principales au rez-de-chaussée. Un second parcours est possible, par le Péristyle, le grand escalier, la galerie et les pièces principales au premier étage, donnant sur le jardin.

Éventuellement on peut aller de l'escalier dans la chapelle privée.

On peut constater une volonté de symétrie bilatérale dans les pièces principales des portes et des fenêtres, des niches dans les parois sont disposées symétriquement. Les axes de ces symétries ont toujours la direction de la vue, vers le jardin. Dans les chambres ils sont perpendiculaires aux parcours séquentiel ; dans la galerie et le Péristyle ils coïncident avec le parcours (grandes enfilades).

Certaines pièces, celles liées à la distribution, ont deux ou plusieurs plans axiaux (longitudinal et transversal) ; les antichambres adjacentes aux vestibules sont traitées elles-aussi avec 2 plans de symétrie bilatérale.

Pour les parties extérieures : la grande cour a pour son axe de symétrie bilatérale la direction du parcours principal, la symétrie est créée avec l’ordonnance des façades, sa forme même – avec le bout ovale ainsi que les pentes des toits.

Le mode de mesure originel pour la construction est le système duodécimal pied-pouce.

La taille des portes, des fenêtres, la hauteur sous plafond sont beaucoup plus importantes que dans une habitation ordinaire.

Utilisation des ordres classiques :

  • dans la cour - le bâtiment d’entrée a des colonnes doriques sur des piédestaux, sur lesquelles (b. d’esc.) sont superposées des colonnes ioniques, les bâtiments adjacentsont des pilastres de même nature ;
  • dans la façade sur la place, dessinée par Mansard - des pilastres d’ordre corinthien colossal (par deux niveaux).

Tous les espaces bénéficient d’une lumière naturelle. L’orientation de la maison est telle, que les pièces du corps de logis principal reçoivent une lumière directe du soleil en fin de journée (entre l’après-midi et le coucher du soleil). Avec sa forme, la galerie bénéficie d’une lumière directe toute la journée (vers la fin de l’après-midi, l’ombre portée du corps de logis perpendiculaire, progressivement de bas en haut, tombe sur cette façade).

Dans la plupart des pièces la lumière vient d’un seul côté, dans les chambres elle est latérale par rapport au parcours principal.

Thèmes spatiaux dans l’hôtel d'Evreux

Le point de départ du projet est l'ancrage de la Grande cour et le choix de sa forme. Avec ce choix, Bullet a réussi la cohérence de tout le projet dans cette parcelle irrégulière.

D’après moi Bullet a composé par addition. Ce qui me permet d'affirmer ceci sont tous les différents volumes des corps de bâtiment et les articulations entre eux. Il est allé des parties à l’ensemble avec un grand souci des articulations.

Autre thème important, d’après moi, c’est la recherche d’une forme euclidienne régulière, d’un ordre et d’une axialité des espaces majeurs intérieurs ou extérieurs.

Jardin - privé et calme, très détaché par rapport à la rue et donc éloigné de la ville, du bruit (mœurs, société, classe sociale).

Degrés d’intimité - rue, cour, maison, jardin ; vestibule, antichambre, second antichambre, chambre.

Présentation du niveau social - tout ce que j’ai dit avant et aussi - riche décoration, chapelle (aussi usage religieux).

Sources documentaires

Graphiques :

  • Blondel : « Architecture française » (la mise à jour par Mariette)
  • Bibliothèque Nationale de France, pour quelques anciens plans de Paris, sur le site www.bnf.fr

Photographiques :

  • Vacquier, J. : « Les Vieux Hôtels de Paris »
  • Photographies personnelles

Écrites :

  • Blondel : « Architecture française »
  • Quatremère de Quincy : « Histoire de la vie et des ouvrages des plus célèbres architectes de 1050 à 1800 »
  • Bernard Oudin : « Dictionnaire des architectes »
  • Nomenclature officielle des voies de Paris sur Internet : www.mairie-paris.fr